Février 2019
Financial Afrik n°57
Géraldine MERMOUX

Géraldine MERMOUX

A quelques semaines de la première échéance fixée par le régulateur CIMA pour la mise en œuvre effective du nouveau capital social des compagnies d’assurance, combien d’entre d’entre-elles arriveront à atteindre les FCFA 3 milliards désormais exigés ? Entre réalisations effectives, promesses et engagements fermes, il est difficile de répondre, mais il semble qu’on s’achemine vers un gros tiers de compagnies encore en-dessous de l’objectif intermédiaire de FCFA 3 milliards[1].

Cette difficulté de certains assureurs à mobiliser les actionnaires et investisseurs n’est pas une surprise : c’est la conséquence d’un secteur extraordinairement hétéroclite, qui voit coexister des petites compagnies à capitaux familiaux, fragilisées par des fonds propres limités, et des mastodontes régionaux largement capitalisés.

Que faut-il penser de cette situation ? Quelles pourraient être les prochaines étapes ? La réforme va-t-elle réussir à moderniser le secteur ? Quels sont les freins à sa mise en œuvre effective ?

PARTIE 1: UNE RÉFORME BIENVEILLANTE ET INDISPENSABLE

La réforme adoptée par la CIMA, qui impose un capital social à FCFA 3 milliards à compter de mai 2019 puis à FCFA 5 milliards à compter de mai 2021, doit être analysée avec discernement : derrière son apparente exigence (multiplication par 5 du capital minimal), elle est en fait doublement bienveillante :

elle est d’abord bienveillante en prévoyant un délai d’application étalé sur 5 ans avec une étape à 3 ans. De ce point de vue, les assureurs ne sont pris ni par surprise ni en traitre…

elle est aussi bienveillante par rapport aux exigences des pays du continent : les assureurs qui avaient jeté leur regard au-delà des frontières de la CIMA savaient depuis longtemps que le capital minimal de FCFA 1 milliard, encore en vigueur dans l’espace CIMA jusqu’à fin mai, était une exception injustifiable face au Nigéria (le capital social minimal y est de l’équivalent de FCFA 5 milliards[1] pour les assureurs non-vie et FCFA 3 milliards pour les assureurs vie), à l’Égypte (FCFA 2 milliards avec une augmentation prévue à FCFA 5 milliards), au Ghana (FCFA 2 milliards avec une augmentation prévue à FCFA 6 milliards), au Maroc (FCFA 3 milliards), à la Tunisie (FCFA 2 milliards[2] avec une augmentation prochaine à FCFA 9 milliards), etc.

Mais la réforme est aussi et surtout opportune, en ce qu’elle vise à répondre aux faiblesses du secteur des assurances d’Afrique subsaharienne francophone, ce fameux « excès d’acteurs excessivement petits ».

Il importe ici de replacer la réforme dans une perspective historique. Jusqu’à une époque récente, les contraintes réglementaires ont été favorables à un capitalisme familial qui a permis une multiplication de petites compagnies : avec plus de 160 sociétés dans la zone CIMA, cette dernière bat certainement un record du monde de densité. Mais ce dynamisme des nombres à un revers : la faiblesse des montants ! Car si nos compagnies sont nombreuses, elles le sont sur un marché par ailleurs étroit en termes de chiffre d’affaires, et le partage de ce petit chiffre d’affaires entre un grand nombre d’acteurs a pour conséquence une pléthore d’acteurs lilliputiens et peu rentables.

Cette situation a principalement quatre conséquences négatives pour la zone CIMA :

  • Dumping tarifaire. La première est une pression concurrentielle exacerbée, principalement fondée sur les prix. Toutes ces compagnies, lancées par dizaine dans une concurrence destructrice, créent un dumping permanent nuisible à long terme à la solvabilité du marché.
  • Réassurance excessive. La seconde conséquence de l’éclatement de l’offre entre trop de petites compagnies, ce sont des capacités limitées, et donc un recours excessif à la réassurance étrangère, qui déstabilise les balances des paiements de la zone.
  • Innovation et rentabilité insuffisantes. La troisième conséquence est que les petites compagnies n’ont pas la taille pour s’engager dans les investissements nécessaires à l’innovation et à la modernisation de l’activité d’assurance. On le sait, cette activité est de plus en plus consommatrice d’informatique, de data mining, d’actuariat, et tout cela requiert des investissements importants, qui sont économiquement absorbables quand ils sont amortis sur une activité importante.
  • Faiblesse des indemnisations. Enfin, la quatrième conséquence est une pression de trésorerie qui conduit certains assureurs à jouer sur les cadences de règlement des sinistres pour préserver leur trésorerie, au détriment de la réputation du secteur dans son ensemble.

Sur les bases de cette analyse, la réforme CIMA apparait comme parfaitement justifiée par la situation du marché CIMA, et en phase avec un benchmarking international.

PARTIE 2 : UNE RÉVOLUTION DES MENTALITÉS EST INDISPENSABLE POUR QUE LES CONSÉQUENCES VERTUEUSES DE LA RÉFORME SURVIENNENT

Mais alors, si la réforme est bonne pour le secteur, comment expliquer que sa mise en œuvre tarde tant ou se heurte à tant de freins ? Notre pratique quotidienne du secteur nous permet d’identifier principalement deux causes.

La première tient au problème même que la réforme tente de corriger : les compagnies dont la solvabilité est éloignée du nouvel objectif de FCFA 5 milliards ont, pour la plupart, des rentabilités faibles, qui les placent dans une mauvaise situation pour convaincre leurs actionnaires d’augmenter le capital ou pour attirer de nouveaux investisseurs. Une compagnie ayant moins de FCFA 10 milliards de chiffre d’affaires ne peut que difficilement amortir ses coûts fixes et dégager un résultat attractif. Mais surtout, il lui est difficile d’élaborer un business plan capable de convaincre un investisseur d’injecter davantage de capital, qui ne sera pas mieux rémunéré qu’une obligation d’État…

La seconde cause tient à la résistance au changement de l’actionnariat familial : les fondateurs de ces petites compagnies, ayant joui des avantages d’un contrôle majoritaire de leur outil de travail, ne sont pas prêts à abandonner ce contrôle. Or la mathématique financière ne fait pas de miracle : si l’on souhaite augmenter le capital d’une société, il faut donner des parts aux nouveaux venus, et donc réduire le poids des actionnaires existants, et si ces derniers sont déjà proches des 50%, il faut qu’ils acceptent de passer … en dessous de 50% !

Ainsi se confirme la difficulté de la réforme actuelle du capital minimal, qui marque le basculement d’un capitalisme familial – où les compagnies sont détenues par des hommes d’affaires et leurs proches – à un capitalisme institutionnel, où les actionnaires personnes physiques s’effacent progressivement devant des actionnaires institutionnels.

Deux scenarii sont ici possibles pour anticiper l’avenir.

1- Le cercle vertueux de la modernisation du secteur

Le scénario vertueux est celui qui, de notre point de vue, devrait se produire. Il fait confiance à la sagesse africaine et à l’ingéniosité financière.

La sagesse africaine ne tardera pas à rappeler à ces actionnaires familiaux qu’il est préférable d’avoir 1% d’Allianz ou d’AXA au niveau mondial que 100% d’une compagnie d’assurance moribonde et limitée à un petit marché. En d’autres termes, il peut être intelligent de céder le pouvoir absolu d’une société que l’on prendrait le risque de faire mourir en la privant d’un accès à de nouveaux fonds propres, pour se contenter d’un pouvoir relatif dans une société recapitalisée, prospère, plus grosse et donc plus apte à s’engager dans un processus de modernisation.

L’ingéniosité financière devrait rapidement démontrer à ces capitaines d’assurance que le contrôle d’une affaire ne se réduit pas à en détenir 51%. Qui doute que la famille PINAULT contrôle KOERING, avec pourtant seulement 40,9% de son capital ? Qui peut penser sérieusement que Bernard ARNAULT ne contrôle pas pleinement LVMH, dont il ne détient pourtant que 46,8% du capital ? Enfin, qui se souvient du montage qui a permis à Claude BEBEAR de conserver le contrôle du Groupe AXA tout en allant chercher en bourse et ailleurs les capitaux dont il avait besoin pour financer son développement ?

En combinant sagesse et ingéniosité financière, certains patrons-actionnaires de compagnies trouveront la voie pour convaincre de nouveaux actionnaires de venir participer à l’augmentation des fonds propres sans abandonner pour autant toute forme de contrôle sur « leur » compagnie.

2- Le cercle vicieux de la résistance au changement

Bien sûr, un scénario pessimiste existe, que nous aimerions conjurer, dans lequel la résistance au changement se confirme, et les actionnaires des petites compagnies, refusant fermement de se voir dilués, ne parviennent pas à atteindre le nouveau capital social de FCFA 5 milliards. L’issue de ce scénario est hélas connue : la CIMA ne cédera pas dans une réforme historique pour le secteur, ardemment souhaitée et soutenue par la plupart des grandes compagnies du secteur, par les autorités nationales de tous les pays et en ligne avec les tendances internationales les plus évidentes. Des retraits d’agréments sont ainsi à attendre pour ces réfractaires au changement, s’il se confirme qu’il en reste à l’issue du calendrier de la réforme…

Mais nous avons toutes les raisons d’être optimiste : il serait a contrario étonnant que les assureurs, qui sont censés être les champions du long terme pour leurs assurés, ne le soient pas pour eux-mêmes, et qu’ils ne comprennent pas que cette mesure, au-delà des inconvénients qu’elle suscite à court terme, est une aubaine à long terme.

PARTIE 3 : UNE FOIS LANCÉ, LES DOMINOS DES RAPPROCHEMENTS GÉNÈRERONT UN SURSAUT DE RENTABILITÉ QUI JUSTIFIERA A POSTERIORI TOUTE LA RÉFORME

Au-delà des comportements individuels, qui bloquaient hier et pourront accélérer demain, l’implémentation de la réforme, que peut-on attendre de la réforme pour l’ensemble du secteur ?

L’histoire financière offre de nombreuses situations semblables à celle que connait le marché CIMA aujourd’hui, et toutes ces situations permettent de dessiner clairement le futur de la réforme.

La réforme CIMA est le kick off d’un processus de concentration, qui passera par des absorptions, des fusions, des rachats de portefeuilles … et sans doute quelques fermetures pour les assureurs qui auront cru – à tort – pouvoir bénéficier de la clémence illimitée du régulateur. Inéluctablement, nous allons assister à un double mouvement :

d’une part, le nombre de compagnies va se réduire progressivement, sous la contrainte de rentabilité, qui ne permet pas d’atteindre un résultat suffisant pour rentabiliser FCFA 5 milliards de capital si l’on ne dépasse pas un chiffre d’affaires de FCFA 10 milliards en non-vie (FCFA 20 milliards en vie) ;

d’autre part, les compagnies restantes vont voir leur taille augmenter mécaniquement, ce qui les rendra plus fortes, plus résilientes, mieux armées pour s’engager dans des investissements technique (actuariat), informatique, organisationnel (qualité de service) ou marketing.

La récente cession par Allianz de cinq de ses filiales africaines à SUNU Participations, le rachat de Jackson Assurances au Burkina Faso par l’actionnaire majoritaire de la Banque de l’Habitat du Burkina Faso (BHBF) sont des exemples d’opérations qui témoignent de la réalité de ce mouvement sur le marché. Hors de l’espace CIMA, les exemples sont nombreux : ainsi, au Maroc, le durcissement de la réglementation à partir de 1995 a entrainé un mouvement de concentration (le nombre de compagnie est passé de 27 à 18 en quelques années) et l’émergence de géants du secteur. Plus proche de nous mais dans un secteur connexe – la banque -, le Ghana offre un exemple intéressant : suite à la multiplication plus de 3 du social minimal, au plus tard fin 2018, le nombre de banques du pays est passé de 36 banques universelles à 23, grâce à 6 fusions mais aussi … à la disparition d’un tiers des établissements.

CONCLUSION

Tous les arguments, qu’ils soient empruntés à l’histoire, à un benchmarking savamment fait, ou à la logique économique et financière, confirment que la réforme CIMA sur l’augmentation du capital social est pleinement dans le sens de l’histoire, et que son esprit comme sa lettre sont totalement justifiés. Nul doute que la CIMA ira jusqu’au bout de son application, car il n’y a tout simplement pas d’alternative. Si la CIMA ne tenait pas bon par principe, elle devrait tout de même le faire par équité envers les compagnies qui ont fait des efforts pour s’aligner sur la réglementation et qui ne comprendraient pas que trop de bienveillance soit accordée à ceux qui n’ont pas eu la même vertu.

Les compagnies qui ne voudront pas se soumettre devront certainement se démettre…

Une sorte de sélection naturelle va ainsi se produire dans le monde des patrons-actionnaires des compagnies : ceux qui comprendront qu’il vaut mieux avoir 35% d’un géant à succès que 51% d’une compagnie moribonde seront les gagnants de la réforme. Les autres – s’il en reste – peuvent s’inquiéter.

[1] Taux de change de février 2019

[2] Sociétés pratiquant plus d’une catégorie d’assurance

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