À l’heure où la République Démocratique du Congo vient de confirmer sa vivacité démocratique, toute l’équipe FINACTU a voulu s’interroger sur les conséquences que l’accélération de l’histoire pourrait avoir sur le secteur financier du plus grand pays d’Afrique subsaharienne. La RDC offre ainsi une expérience vivante de transformation d’un secteur financier, plongé pendant des décennies dans une certaine léthargie et confronté brutalement à la modernité.
Pour être franc, il faut reconnaitre que la finance congolaise avait déjà entamé son processus de modernisation sous l’ère du Président KABILA, avec l’adhésion à l’OHADA (2010), la loi sur le crédit-bail (2015), un nouveau code de la mutualité (2017), la libéralisation du secteur des assurances, avec la création d’un nouveau cadre réglementaire et la mise en place de l’Autorité de régulation et de contrôle des assurances (ARCA) (2018), la réforme de la Banque Centrale (loi organique de 2018), la modernisation du système national de paiement (2018).
Les leaders du secteur financier du pays témoignaient ainsi de leur prise de conscience que la contribution de ce secteur financier est nécessaire à la croissance économique, au développement du secteur privé, à la réduction de la pauvreté, via ses rôles de mobilisation de l’épargne, de mise à disposition de crédit, de développement des moyens de paiement, et d’intermédiation des risques.
La question sur toutes les lèvres aujourd’hui est : « ce processus de modernisation va-t-il connaitre dans les années à venir une confirmation, voire une accélération, ou sera-t-il abandonné ? Saura-t-il profiter de l’arrivée au pouvoir du Président Félix TSHISEKEDI ? »
Sur la base d’une analyse documentée du paysage financier congolais et de son expérience de terrain en RDC, FINACTU tente d’apporter une réponse à ces questions et d’esquisser des pistes de réformes. Ces analyses sont résumées dans une étude complète, téléchargeable sur ici : Géraldine MERMOUX, Guillaume GILKES. Le secteur financier du Congo RDC : la révolution s’accélère ? FINACTU, décembre 2019.
Du côté de l’offre financière, un dynamisme bouillonnant est à l’œuvre, dont témoigne l’évolution du nombre d’institutions financières présentes sur le territoire congolais, qui est passé de 39 en 1997 à 233 en 2017. Ce secteur affiche désormais – à l’exception de l’assurance, où subsistait une situation de monopole jusqu’à 2019 – une offre abondante, avec en 2017 (derniers chiffres complets) : 17 banques commerciales, 1 banque de développement, 1 caisse d’épargne, 97 institutions de microfinance et coopératives, 1 compagnie d’assurance, et 1 institution de protection sociale (INSS devenue CNSS pour le régime du secteur privé, rejointe en 2017 par la CNSSAP pour le régime du secteur public). On dénombre également 72 sociétés de messageries financières, 16 sociétés financières de transfert des fonds dont 4 par mobile et 12 couplées aux banques, et 27 bureaux de change. Les banques commerciales dominent le secteur avec environ 89% du total des actifs du secteur financier.
Pourtant, malgré cette évolution en nombre, le secteur financier peine toujours à réaliser son potentiel et à apporter une réelle contribution au développement socio-économique du pays. En effet, les actifs bancaires représentent 16% du PIB, et les crédits bancaires 6% du PIB en 2018 face à une moyenne de 28% des crédits/PIB en Afrique subsaharienne…
La priorité : sortir le secteur bancaire du cercle vicieux de l’élitisme et en faire un acteur de l’inclusion financière
Ceux qui veulent voir le verre à moitié plein remarqueront que le secteur bancaire a connu une forte croissance entre 2010 et 2018 : le total des actifs a été multiplié par 3 sur la période (USD 6 879 millions à fin 2018), les crédits par 4 (USD 4 660 millions) et les dépôts par 3 (USD 2 882 millions).
Malgré les sceptiques feront remarquer que les dépôts bancaires en RDC ne dépassent pas 10% du PIB quand le Cameroun est à 20%, la Côte d’Ivoire à 29%, et le Kenya à 36%. Les crédits représentent également la part la plus faible du PIB (7%) parmi les autres pays d’Afrique, quand le Cameroun atteint 16%, la Côte d’Ivoire 23%, et le Kenya 30%.
Derrière ces chiffres se cache le paradoxe de la finance congolaise, qui est engagé dans un cercle vicieux dans lequel les banques, pour survivre à une pénétration très faible, pratiquent une politique de prix élevés, qui freine le développement de la bancarisation : le pays affiche à la fois des niveaux de prix élevés et un niveau d’inclusion financière très faible (le taux de bancarisation peine à évoluer et stagne autour de 6%).
Malgré l’augmentation du nombre d’agences bancaires dans le pays au cours des dernières années, la RDC possède l’un des réseaux bancaires les plus limités du continent avec moins d’une agence bancaire pour 100.000 habitants, soit près de 3 fois moins d’agences bancaires par habitant qu’en Tanzanie, 16 fois moins qu’en Angola et … 70 fois moins qu’en Belgique ou en France.
Ce réseau de distribution insuffisant est lié au fait d’infrastructures limitées : dans la plupart des provinces, les infrastructures de transport sont dans un état vétuste, seule Kinshasa se démarque avec un taux de routes revêtues supérieur à 90%, contre 20% pour le Nord Kivu et le Bas-Congo, les 2 autres provinces ayant le meilleur état des routes. Concernant les infrastructures électriques, seule Kinshasa se démarque avec un taux d’électrification de 44%, contre 17% en moyenne dans le pays pour l’accès à l’électricité.
En effet, la présence des banques est de fait conditionnée par l’état des infrastructures, ce qui explique la faible présence des banques commerciales dans certaines régions du pays, et leur concentration à Kinshasa (61% du nombre total d’agences et guichets bancaires en RDC), au Katanga (14%) et au Bas Congo (11%). En conséquence, les dépôts et les crédits sont fortement concentrés dans la province de Kinshasa (plus de 70%).
Quel avenir pour le secteur bancaire ?
Le nouveau gouvernement pourra compter sur le bénéfice des efforts d’assainissement pris ces dernières années : déductibilité des provisions pour créances douteuses des banques (2017), modernisation de la réglementation sur les fonds propres (instructions de la Banque Centrale en 2017) et relèvement du capital minimum à l’équivalent en CDF d’USD 10 millions à USD 30 millions au 31 décembre 2018 et à USD 50 millions au 31 décembre 2020. Le contexte de dépréciation de la monnaie CDF risque de peser sur les banques puisque le capital minimum réglementaire est exprimé selon son équivalent en USD.
Derrière la bonne santé consolidée du secteur bancaire, qui dépasse en moyenne les exigences minimales fixées par la Banque Centrale, se cachent quelques situations désespérées (FiBank dissoute en 2017, BIAC toujours sous tutelle de la Banque Centrale du Congo, Byblos Bank RDC, devenue Solidaire Banque, inactive) qu’il est temps de résoudre définitivement, pour laisser au secteur bancaire le soin de regagner la confiance des consommateurs.
Un secteur des assurances désormais ouvert : comment soutenir son développement en même temps que la mise en place des structures de contrôle ?
Le secteur des assurances congolais offre une particularité tout à fait exceptionnelle, avec une situation de monopole public (la SONAS, créée en 1966) qui n’a plus d’équivalent dans presqu’aucun autre pays du monde en 2019. Sans surprise, la SONAS est dans une situation financière tout à fait préoccupante, et son activité est très limitée par rapport aux besoins d’intermédiation des risques des acteurs économiques en RDC : en 2017, les primes SONAS se sont élevées à CDF 95,6 milliards (USD 60,9 millions), soit une pénétration totalement atrophiée de 0,16% du PIB et une densité de USD 0,75 / habitant qui place la RDC dans les pays les moins assurés du monde.
En 2019, à l’issue d’un long processus de réflexion commencé quelques années auparavant, que FINACTU a eu le privilège d’accompagner, la SONAS a perdu son monopole sur le secteur des assurances. Dans le cadre d’une libéralisation assumée, l’ARCA a agréé en 2019 4 nouveaux assureurs (Activa Assurance RDC, SFA Congo, Rawsur SA et Rawsur Life SA) et 4 sociétés de courtage. D’autres acteurs importants vont très bientôt entrer sur le marché. Dans ce contexte de libéralisation enfin effective, la mise en place de l’ARCA est une très bonne nouvelle, mais ses moyens doivent vite être augmentés pour maitriser le développement du secteur.
Parallèlement, l’ARCA a informé le public en septembre 2019 que la SONAS est autorisée à fonctionner en attendant que son dossier de demande de régularisation aboutisse. La SONAS a déposé un dossier de mise en conformité. Il y a encore des éléments qu’elle doit compléter notamment son plan de redressement. S’ouvre ainsi pour la SONAS une période de transition pour, soit être liquidée, soit, après un audit complet opérationnel et financier, être profondément restructurée avec ouverture de son capital à un partenaire technique, afin d’atteindre ultérieurement les critères d’agrément prévus au code des assurances.
Cadre réglementaire : le nouveau code des assurances est une très bonne nouvelle, mais ces textes restent à améliorer et à compléter
Promulgué le 17 mars 2015, le nouveau Code des assurances de la RDC est officiellement entré en vigueur le 17 mars 2016 après une année de transition.
Ce code comporte de nombreuses dispositions adaptées au contexte congolais, pour permettre son développement rapide tout en maîtrisant sa stabilité : norme de rétention locale à 25% ambitieuse sans être irréaliste ; capital social minimum de CDF 10 milliards (équivalent au 31/12/17 à USD 6,4 millions) un peu basse au vu du relèvement du capital social des banques en RDC, ou de ceux des assureurs dans d’autres pays d’Afrique ; ainsi que d’autres mesures techniques de bonne augure telles que la prise d’effet du contrat subordonné au paiement de la prime, ou une liste étendue des assurances obligatoires, ou encore l’institution d’un fonds de garantie automobile, et la réglementation des agents généraux, courtiers et autres intermédiaires. Enfin, il supprime la TVA pour les activités vie-épargne et santé.
Ce code des assurances est une très bonne base, et la plupart des mesures d’application ont été prises, mais il devra être amélioré et complété sur plusieurs points, par exemple pour le cadre des activités de microassurance ou d’assurance agricole, ou pour le renforcement du cadre réglementaire et de supervision concernant l’administration provisoire et la liquidation pour une meilleure protection des assurés.
Qu’il s’agisse des banques ou des assurances, le secteur financier congolais a connu une décennie de forte croissance et de changements majeurs du cadre réglementaire et de supervision. Malgré ce développement rapide et régulier, le secteur financier est limité et ne répond pas aux besoins de services financiers de l’économie. Aujourd’hui, les perspectives laissent envisager une accélération de cette croissance. La problématique posée aux régulateurs est plus que jamais de poursuivre l’adaptation continue du cadre réglementaire, afin de continuer à mener de front assainissement et développement du secteur.